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Astrid Manfredi au lycée !

, par GUERIN Edouard

D’une sympathie naturelle, Astrid Manfredi nous dit à quel point elle est ravie de pouvoir discuter avec ses lecteurs.

Son roman, La Petite Barbare, est sélectionné pour le Festival du Premier Roman à Chambéry et c’est pour elle une autre raison d’être émue, car un premier roman est comme un enfant que l’on porte, une grande aventure qui ne fait que commencer. En ce qui concerne la première de couverture, elle salue le travail inspiré de la graphiste qui nous fait apercevoir des mains en étau autour de la tête de la jeune fille, mais tout autant la dualité, la lutte qu’elle mène afin de devenir une autre. C’est volontairement qu’elle n’a pas nommé son personnage tout d’abord parce qu’il représente une jeune femme en général et que cela facilite le sentiment d’appropriation du lecteur. D’où le recours au « je » qui facilite cette appropriation. Son but est de montrer comment une jeune fille qui utilise son corps comme un pouvoir veut se réattribuer une place dans la société. Cette fille pourrait être Nabila, sexy, belle, qui le sait et en profite. Au début du roman , « la petite barbare » incarne cette féminité de la télé réalité, mais elle reste consciente de ce qu’elle fait. Quand on lui demande si elle aime son personnage, Astrid Manfredi nous précise immédiatement qu’elle n’a pas voulu le juger et encore moins ce qu’elle représente. En effet, le personnage de « la petite barbare » est inspiré de la jeune fille rabatteuse du clan des Barbares, bourreau d’Ilan Halimi. Emma, dans la réalité, embobine les hommes avec une facilité déconcertante, d’Ilan au directeur de la prison et « en terme de processus psychique, il faut reconnaître que c’est assez incroyable ». Mais ce qui rend cette attitude différente c’est qu’elle est associée à un meurtre, racial, antisémite de surcroît. Elle ne nous cache pas que son éditeur lui a demandé un travail de réécriture à propos de l’aspect « religieux » de l’acte commis. L’époque est trop tendue et peut-être un peu lâche aussi…l’éditeur redoutant un procès. Toutefois, l’auteure se défend d’avoir voulu coller au fait divers, cela ne l’intéressait pas et l’aurait éloigné de son objectif. Ainsi, loin d’elle la volonté d’interpréter la réalité du fait en termes de bien ou de mal. « Ecrire avec franchise, sans juger » Oui son personnage lui tient à coeur car elle y a mis quelque chose d’elle même, elle qui jeune fille était rebelle et très en colère. Elle a eu envie de lui redonner une vraie voix et aussi une voie, pour ne pas sombrer dans la fatalité. En effet, trop souvent dans notre société une sanction pour un crime se paye deux fois, la première par la peine d’emprisonnement, la deuxième par « la culpabilité dans le regard de l’autre ». C’est ce qui justifie que « la petite barbare » redoute de sortir de prison et que tous les détenus ne réussissent pas leur sortie.

Son personnage est-il une héroïne ou une anti-héroine ? A cette question, Astrid Manfredi répond les deux ! Elle s’en prend à un homme innocent, froidement et sans manifester jamais le moindre remords. Mais tout autant, c’est héroïquement, qu’elle tente de sortir de sa situation de criminelle. Elle se donne une seconde chance grâce à la littérature, tout d’abord en la découvrant. C’est en lisant l’Amant de Marguerite Duras que « la petite barbare » comprend que l’amour peut être poétique. Cette lecture est pour elle comme « un roman d’initiation à la sensualité ». C’est également en écrivant qu’elle expurge sa violence. « La poésie qu’elle avait en elle ne pouvait pas grandir ». Ce chemin lui était interdit par son milieu. D’ailleurs, Astrid nous rappelle que barbare en grec, désigne ceux qui ne parlent pas le grec, c’est à dire ceux à qui il manque les mots. La civilisation arrive avec les mots. Paradoxalement, c’est en prison que cette rencontre avec les mots va se faire. Plus elle évolue, plus son langage change avec elle. C’est aussi pour cette raison que certains passages sont très crus, notamment ceux qui concernent la sexualité du personnage. Il ne peut pas en être autrement, lui qui ne sait pas aimer. Etrangement, le personnage garde une fidélité sans faille envers Esba, probablement parce qu’il est son unique repère, une figure paternelle, autoritaire que le père du personnage n’a pas. Elle préfère faire n’importe quoi plutôt que ne rien faire comme son père. Les parents démissionnaires sont responsables des mauvais choix de leurs enfants la plupart du temps et c’est aussi ce que veut dire le roman.

Reste que la question des femmes passionne Astrid Manfredi et à la veille du 8 mars, elle s’indigne que l’on réduise encore les femmes à l’état d’objet et pour preuve les clips dans lesquels la femme est humiliée, les postes à décision encore trop peu confiés aux femmes… Son blog « Laisse parler les filles » témoigne de sa volonté de faire changer les choses, en particulier au niveau de la littérature qui reste encore un domaine très masculin. Elle cherche à faire connaître les pensées féminines mais pas seulement, tout ces textes « oubliés » qui ne méritent pas de l’être.

Ce fut un réel plaisir d’accueillir Astrid Manfredi dans notre lycée. Son rire communicatif nous a mis à l’aise très vite. Une semaine après sa visite nous apprenions qu’elle obtenait le Prix Régine Desforges, récompense méritée, et probablement la première d’une longue série.