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Visioconférence émouvante avec Sophie Daull

, par GUERIN Edouard

C’est avec plaisir et émotion que nous avons, ce vendredi 27 mai, discuté avec l’auteure de Camille, mon envolée…,Sophie Daull. Elle était arrivée la veille à Chambéry, ville qui accueille pour la 29ème fois le Festival du Premier Roman. L’ambiance y est chaleureuse, d’autant qu’elle a retrouvé des jeunes auteurs qu’elle apprécie et dont les romans sont si proches que les organisateurs les ont fait se rencontrer autour de discussions littéraires. Il s’agit notamment d’Astrid Manfredi, qui nous avait fait le grand plaisir de venir dans notre lycée en mars et d’Emmanuel Seurat l’auteur de La Maladroite. La voilà maintenant se prêter au jeu de la visioconférence avec douze d’entre nous.

 Le roman de Sophie Daull relate les derniers jours de sa fille Camille, fauchée par une maladie aussi inattendue que foudroyante, envolée en quelques jours. C’est de leur histoire dont il est question et pourtant il s’agit bien d’un roman. En effet, c’est un roman du point de vue de l’écriture, du souci de la phrase, de la stylistique. Elle nous dit avoir souffert pour chaque phrase, chaque mot choisi… c’est pourquoi elle réfute l’idée qu’il puisse s’agir d’un journal intime qui aurait été publié. Cela l’agace même profondément, et force est de constater que Sophie Daull ne manque pas de force de caractère. « il ne faut pas m’énerver avec ça » nous dit-elle. Nous avons évidemment ri de bon coeur à cette franche engueulade. ! D’ailleurs, Sophie aura une autre occasion de nous remettre à notre place lorsqu’on lui demanda si elle considérait l’écriture comme une thérapie. « Mais je ne suis pas malade ! » fut sa réponse. Pas de médocs, ni de psy ! L’écriture, le quotidien qui reprend sa place et surtout la volonté de faire en sorte que Camille existe encore, qu’elle soit avec elle dans tout ce qu’elle entreprend. Vivre et écrire pour prendre de la hauteur, elle parle même d’un acte transcendant. Sophie Daull n’a pas la foi et ne croit pas aux esprits… Toutefois, elle a besoin de savoir sa fille près d’elle. Cette énergie qui la caractérise, elle la doit à sa fille car elle se dit que si Camille la voyait, elle ne supporterait pas que sa mère soit réduit à l’état de torpeur, de douleur paralysante. Alors, elle s’efforce de faire cohabiter la vie et sa douleur et surtout pas être réduite à sa seule douleur.

 Bien sûr, elle reconnaît que chacun a son propre ressenti face à une telle aberration et que si l’écriture a du sens pour elle, ce n’est pas le remède universel. Nous nous rendons compte d’ailleurs qu’il n’existe pas de mot dans la langue française pour désigner les parents qui perdent leur enfant. Ce mot n’existe pas car cette situation ne devrait pas exister : c’est un tabou, au sens propre du terme. Certains parents qui lui écrivent proposent les « désenfantés » ou encore les « parorphelins », pourquoi pas mais Sophie Daull préfère dire d’elle qu’elle est une mère qui a perdu sa gosse. Et puis dire ce qu’elle est car « c’est le silence qui tue ». Incroyable vie puisqu’elle était déjà une jeune fille qui a perdu sa mère assassinée !

C ‘est donc cette mère amputée qui se trouve devant notre caméra, à la fois dynamique et drôle mais aussi fatiguée, le visage émacié. Oui elle est drôle ! A de nombreuses reprises durant la lecture mais aussi en visioconférence, elle nous a fait rire. Le rire comme mode de survie. Reconnaissons qu’il nous avait gêné ce rire présent dans le livre, mais aujourd’hui, nous le comprenons.

 Elle nous explique également comment la « machine corporelle » se met automatiquement en marche après la mort de Camille. « Je ne sais pas d’où vient cette énergie, quel est le principe vital qui fait que le produit les forces qu’on attend de lui ». C’est ainsi que les formalités administratives se font, le choix de la cérémonie, les assurances « Camille n’avait pas souscrit de prévoyance obsèques »… Tout cela se fait comme dans une espèce d’état d’ivresse mais « tu agis selon les heures de bureau. Après 18 heures, les bureaux ferment et là c’est la claque ».

Pour que la douleur ne la tue pas, elle écrit. Son compagnon, le père de Camille, n’a pas été immédiatement d’accord quand elle l’a averti que le livre allait être publié. Il lui en a voulu « d’exhiber la mort de Camille sur la place publique ». Puis peu à peu, il a compris sa démarche, d’autant que l’éditeur dans sa grande intelligence, sa grande délicatesse, n’a demandé aucune retouche au texte. « Tel présenté, tel publié »

 En revanche, il ne sera jamais question d’une adaptation cinématographique du livre. Le papa ne l’acceptera jamais. D’ailleurs, « comment envisager le casting de Camille ? » encore une aberration.

 A propos du titre, « envolée » préfigure le destin d’un écrivain tout autant que le passage de Camille de la vie à la mort. Tout comme le Charon de la mythologie, Sophie Daull permet à sa fille de « s’embarquer sur un petit vaisseau en direction non pas de l’oubli et de la désolation mais de la prolongation, « afin qu’il lui reste une espérance de vie normale ».

Dernièrement elle a échangé épistolairement puis rencontré des détenus qui ont lu Camille, mon envolée et qui, parce qu’ils sont des hommes ont abordé le deuil avec une immense pudeur et surtout leur point de vue de papas privés de leurs enfants. Cette rencontre a fait dire à Sophie « mon chagrin, c’est comme la prison, j’ai pris perpet’ »

 Le 25 aout sortira son deuxième roman, afin que Camille ne soit pas un « one shot ».

  Juliette H.