Je suis un tueur humaniste

Quel titre ! Quelle trouvaille ! Pourtant de l’aveu même de David Zaoui, le roman a failli s’appeler Es-tue heureux ? Pas de panique , il n’y a pas là une impardonnable faute d’orthographe, mais l’annonce de ce qui fait le sel de ce premier roman : le personnage central, Babinsky, est un tueur à gages, le meilleur dans son domaine , qui , avant de tuer ses victimes, s’efforce de leur procurer un dernier moment de bonheur. La couverture du roman illustre parfaitement le cadre de l’histoire qui nous est donnée à lire.

C’est vendredi 25 mai que nous avons pu dès 9 heures entrer en contact par Skype avec David Zaoui invité au Festival de Chambéry en sa qualité de lauréat. Malgré la froideur redoutée lors de ce type d’échange, lui quelque part, nous ailleurs, les pixels entre nous, il nous est apparu d’entrée comme quelqu’un de très chaleureux, facilitant au mieux le dialogue avec nous. Il n’a pas caché son plaisir d’être sur le Festival, parce qu’il allait rencontrer pour la première fois ses lecteurs , mais aussi des auteurs dont il connaissait les oeuvres sans pour autant les avoir déjà croisés.

Qui est ce Babinsky, tueur humaniste ? Un orphelin, recruté assez tôt par un syndicat du crime, tant la précision de ses tirs est exceptionnelle. Un solitaire, nécessairement , car, quand on est un tueur on n’a pas le choix. Comment s’engager dans la vie sociale, dans une relation amoureuse ou même amicale alors que l’on se fait passer au quotidien pour un plombier, qui en réalité "dessoude" sur contrat des individus peu reluisants ? Malgré les échanges avec "Cyrus le gros" son patron et son psy Simon Shprinzel trouvé par hasard sur l’annuaire, Babinsky est toutes les nuits confronté à lui-même puisqu’il est insomniaque. Ce besoin qu’il a de rendre heureux ceux à qui il va pourtant prendre la vie, lui revient en pleine conscience : pourquoi n’est-il pas heureux ? Comment atteindre le bonheur, ce que chacun d’entre nous nous nous efforçons de faire ?

David Zaoui est très influencé par la philosophie, même s’il nous dit, un peu gêné, qu’il n’a pas fait d’études, qu’il n’est pas allé au lycée. Cela ne l’empêche pas d’aimer la philosophie, aimer s’interroger sur le monde et sur ce qui le compose, sur les paradoxes de l’humanité et Babinsky en incarne un parfaitement, puisqu’il est à sa façon altruiste et généreux ET meurtrier.

D’ailleurs ce temps sans aller à l’école n’a pas été gâché car David Zaoui a fait beaucoup de théâtre, du cinéma, il est allé s’installer aux USA, il a suivi des groupes de Rap... En fait , sa vie est à l’image du conseil qu’il a donné aux jeunes lycéens vendredi : il faut renouveler sans cesse la curiosité pour les choses et les autres, goûter les livres et la musique (de Brahms au Rap),il faut s’efforcer faire sa vie sans suivre forcément un chemin tracé... Autant de principes que la philosophie a fait sienne depuis très longtemps.

C’est cela qui l’a amené à l’écriture. On trouve d’ailleurs dans son roman beaucoup de choses qui lui sont intimes, Brahms, l’amour des noms en Sky (hommage à Woody Allen), l’amour des chiens , en particulier des gros chiens patauds "qui ne servent à rien" (Babinsky est le surnom de sa chienne) mais aussi certaines de ses rencontres. Les philosophes cités dans le roman, Montaigne ou Pascal, Schopenhauer ou Nietzsche trouvent aussi bien sûr leur place dans ce roman universel susceptible de toucher toutes les générations tant l’intrigue est originale et les dialogues savoureux.
Ce sont ces qualités qui lui ont valu une première approche pour une adaptation au cinéma. En attendant, David Zaoui s’est remis au travail : il écrit partout, dans des endroits où il se sent bien , prend beaucoup de notes car tout l’inspire.

Cette année encore nous avons pris beaucoup de plaisir à lire ensemble, à partager nos coups de coeur, nos déceptions, à choisir en votant le meilleur Premier Roman du Festival de Chambéry. Notre choix s’était porté sur Je n’écrirai que morte d’Elisabeth Letourneur mais le Tueur humaniste faisait partie de notre tiercé de tête. Nous vous donnons donc rendez-vous à la rentrée, élèves dès la Première jusqu’à la Prépa , étudiants en BTS, professeurs et personnels . Bonnes vacances ! Bonnes lectures !