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CEDER N’EST PAS CONSENTIR

, par ALLIOUI YASMINE

CEDER N’EST PAS CONSENTIR

Cet aphorisme a pris la forme d’un collage placardé dans les rues de certaines villes comme Paris ou encore Le Mans. Certaines personnes interviewées reconnaissaient ne pas comprendre immédiatement à quoi cela faisait référence. L’essai de Clotilde Leguil que nous avons reçu le mercredi 10 novembre dans le cadre de Cité Philo, a cette immense qualité de nous éclaircir. Son ouvrage nous a amené à nous interroger essentiellement sur le consentement sexuel ou amoureux mais nous pourrions faire également le parallèle avec le consentement politique et social.

Ces quelques lignes reprennent sous la forme d’un article les propos de Clotilde Leguil qui a exposé de façon extrêmement claire sa thèse et qui s’est ensuite prêtée au jeu des questions réponses.

"Avant tout, il semble important de définir les termes afin de bien comprendre la frontière éthique indispensable entre céder et consentir .

Céder pour commencer : c’est volontairement renoncer à, ne plus résister, transporter la propriété de quelque chose à une autre personne, se conformer à la volonté d’un autre, s’aliéner, abandonner, s’abandonner… Céder induit l’idée que l’on possède quelque chose et qu’on y renonce avec plus ou moins de bonne volonté. En effet, en dépit de la volonté du sujet, on comprend que la cession est plus ou moins consentie selon qu’un rapport de force est au coeur de la relation. Derrière la force, il y a la force physique, mais aussi l’emprise, la fascination, l’ascendant…
Il sera aussi intéressant de voir la distinction entre céder à et céder sur.

Consentir : du latin cum sentire ressentir ensemble, se sentir en confiance, acquiescer, accepter que quelque chose se fasse. Le consentement induit bien l’idée d’une situation dans laquelle les deux parties seront sur la même longueur d’onde, auront un objectif commun. C’est sûrement la confiance plus que la possibilité de juger sereinement de la situation qui est au coeur du consentement. Ainsi, il se peut qu’une personne consente mais qu’elle soit pourtant étrangère aux intentions de celui ou celle à qui elle a dit oui ! Ainsi, le consentement n’est pas l’opération rationnelle d’un esprit éclairé. Ce n’est pas une volonté et c’est pourquoi il confine plutôt au désir.
L’essai insiste aussi sur la formule « qui ne dit mot consent ». Clotilde Leguil y voit à juste titre de la violence dans la mesure où le forceur interprète le silence à sa convenance . Avec beaucoup de mauvaise foi, il ne veut pas considérer le silence pour ce qu’il est c’est à dire la conséquence d’une emprise, ou d’une sidération, d’un effroi ou d’une incompréhension.

Ainsi quand on relie les deux, notamment dans la formule céder n’est pas consentir, on réalise que céder est surtout du côté de l’abus, du forçage voire du traumatisme, alors que consentir est du côté du sujet clairvoyant qui est en mesure de choisir. Choisit-il toujours en conscience ? Sait-il toujours ce qu’il en est des risques qu’il prend en consentant ? La réponse est évidemment non ! Que veut-il ? Que veut-il de moi ? Le consentement est bel et bien une affaire de rencontre, de confiance et de risque. Je consens quand je crois que l’autre le mérite. Nous avons l’habitude en philosophie de rappeler que croire n’est pas savoir. A juste titre, ici je ne sais pas ce que l’autre veut, mais je crois en lui, j’ai confiance, j’ai foi en lui . Je suis prêt(e) à me laisser faire. Mais la parole donnée peut être mensongère, et je peux être trahi(e). C’est alors que la frontière entre le consentement et la cession, (jusqu’au forçage) s’abolit. La dynamique du traumatisme se met en place dans la plupart des cas et le silence avec…
La formule Céder n’est pas consentir enfin est très bien trouvée car elle détruit l’image toute faite des agressions et des viols. Dans l’opinion commune, les agressions sexuelles sont forcément hyper violentes alors que cela de se passe pas toujours comme ça. Nous le verrons avec Vanessa Springora. Céder ne suggère pas toujours une victime passive, elle peut avoir pris une décision qui lui coûtera cher.

Clotilde Leguil débute son travail d’écriture en rappelant que deux romans essentiels parus tout deux en 2020 sont évocateurs d’une prise de conscience collective, essentiellement féminine (mais pas seulement), d’une révolte collective, # Me Too ou encore Balance ton porc, et qui à travers la force du Nous qui ne se tait plus offre force et courage au Je. Ces ouvrages sont Le Consentement de Vanessa Springora et La Famiglia Grande de Camille Kouchner.
Voici les synthèses des deux romans.

Vanessa Springora a 13 ans quand elle rencontre Gabriel Matzneff qui en a 49 et 14 quand elle aura sa première relation sexuelle avec lui. Amoureuse, elle se croit aimée en retour. Pourtant elle déchantera quand elle réalisera qu’elle n’est qu’un objet de plaisir pour lui, comme d’autres avant, pendant et après elle. Elle admet avoir été consentante, mais jusqu’à quel point peut-on l’être quand on a 14 ans, que l’on est amoureuse et manifestement sous l’emprise d’un être malveillant. Ecrivan lui-même Matzneff évoquera son histoire avec elle dans un roman La Prunelle de mes yeux, donnant sa version, et racontera dans le détail ses différentes expériences sexuelles avec des « enfants de moins de 16 ans », son goût pour les vierges et le tourisme sexuel. A l’époque ses écrits ne semblent avoir choqué personne… Cela a d’ailleurs comme muselé Vanessa Springora qui toutefois sortira de son silence quand en 2013 Matzneff a obtenu le prix Renaudot. Sa colère sourde s’est transformée en révolte et elle s’est emparée de l’écriture pour reprendre ce qui lui avait pris : sa parole !

Camille Kouchner évoque dans son roman La Famiglia Grande la relation incestueuse que son frère jumeau a subi pendant des années. C’est leur beau-père, un politologue très réputé, qui installera une forme de chantage sur les deux adolescents, qui l’adoraient, prétendant que s’ils dévoilaient leur relation, leur mère alors très fragile ne le supporterait pas. Le beau-père a poussé les jumeaux à « se laisser faire » ou « à laisser faire » au nom d’un idéal qu’ils voulaient absolument préserver : la famille. C’est après 30 ans de silence, douloureux évidemment, que Camille Kouchner trouve la force de parler et donc de détruire cet « idéal familial » (après avoir vu un film de Maïwenn Mon Roi et après avoir vu un autre de ses films dans lequel la réalisatrice évoque la relation incestueuse que son beau-père lui a fait subir).
« J’ai eu à me taire pendant des années, pendant 30 ans de silence. Maintenant je trouve que le silence, il est pour lui (...) Ce n’est même pas une histoire de punition, c’est juste qu’il entende que c’est impardonnable, et que ça va durer toute la vie », a-t-elle affirmé. Elle a aussi appelé à ne pas s’en prendre à ceux qui savaient et se sont tus : « Je ne voudrais pas qu’on leur tombe dessus, parce qu’il y a un seul coupable ».

Ces romans sont importants tant ils rappellent le besoin que nous avons tous d’avoir confiance, de faire confiance, plus encore quand nous sommes adolescents. Deux fois l’adulte trahit. Dans le cas de Vanessa Springora, certes il y consentement mais à quoi ? À qui ? « Se laisser faire, c’est parfois se forcer soi-même à faire ce qu’on ne désire pas », comme se taire dans le cas de Camille Kouchner qui cède à la situation sans y consentir. Sa culpabilité est double car si elle parle elle détruit sa famille, si elle se tait elle participe au malheur de son frère ainsi qu’au sien. Alors bien sûr un sujet libre et éclairé peut toujours désobéir. Clotilde Leguil cite Antigone qui ne cédera jamais et ira jusqu’au bout de ce qu’elle croit être le plus important. Au nom du respect qu’elle éprouve pour son frère, au nom des lois religieuses qu’elle place au-dessus des lois politiques, elle désobéit et le payera très cher. « C’est le prix à payer » pour accéder à son « propre je ».

La désobéissance et le non-consentement sont évoqués à travers Camus et l’Homme révolté. Se révolter consiste ainsi à dire non, mais à affirmer en même temps un oui, oui à sa propre présence, oui à sa parole contre la sienne… Se révolter c’est se défaire d’une emprise et l’on a compris que cela pouvait prendre beaucoup de temps. C’est aussi être prêt à affronter sa peur, sa honte, le déchirement de sa famille et même se perdre soi-même un seconde fois. Souvent celui qui parle est porté au pilori par sa famille qui lui reproche justement d’avoir parlé…
Dernier point à parcourir : celui de la loi. Clotilde Leguil constate comme une sorte de vide juridique dans le droit français. En effet, la présomption de non-consentement n’existe pas dans le droit français car si l’on reconnaît un non-consentement selon un âge déterminé, cela met à mal la présomption d’innocence. Seule la preuve de contrainte et du recours à la force pourra établir le non-consentement. De plus, rechercher une preuve de non-contentement c’est encore faire souffrir celui qui souffre déjà. D’ailleurs la loi ne peut pas cerner la part nécessairement intime qui a fait qu’à un moment le sujet s’est laissé faire, au nom de quoi a-t-il cédé ?… Et plus encore, être reconnu victime ne suffit absolument à faire taire un traumatisme. Parler, dans un tribunal, ou dans l’écriture, c’est aussi prendre le risque de souffrir davantage. D’où l’importance du ou des destinataires de la parole dévoilée. "

La rencontre avec Clotilde a permis aux élèves qui y assistaient de faire un point plus précis sur le consentement d’un point de vue philosophique, psychologique et même juridique.
Nous espérons vivement renouveler notre collaboration avec Cité Philo avec laquelle nous travaillons maintenant depuis 5 années.