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LE FAMILISTERE DE GUISE : UNE UTOPIE REALISEE

, par ALLIOUI YASMINE

Passer une journée à Guise n’est pas, il faut être honnête, une proposition qui soulève d’emblée l’enthousiasme même auprès des élèves d’HLP qui sont pourtant toujours prêts à se lancer dans un projet ou un autre. Certains m’ont dit « J’y habite ! » « Déjà vu » « J’y suis déjà allé avec l’école » « C’est à côté, on ne pourrait pas aller ailleurs, plus loin ? »
Justement pas ! A quelques dizaines de kilomètres de Saint-Quentin se trouve l’une des expériences sociales les plus réussies du monde, une utopie réalisée : le Familistère Godin.
Il est toujours intéressant de rappeler en quoi le Familière est exceptionnel.

Un peu d’histoire…

« Ouvrier moi-même, je n’oublierai jamais mon origine, jamais je ne voudrai que l’ouvrier courbe la tête devant moi, jamais je ne manquerai de respect à sa dignité que j’estime égale à la mienne » Ces mots de Jean-Baptiste André Godin résonnent comme un lointain écho des utopies qui ont marqué le 19 ème siècle. Fervent disciple des thèses socialistes utopistes, l’industriel picard fit ériger à Guise à partir de 1859 un « Palais social » où ses ouvriers pourraient enfin avoir accès non seulement à un emploi, mais aussi à un logement décent, à la santé, l’éducation… Une révolution à l’époque, un projet encore en construction dans de nombreux endroits du monde.
Fils d’un artisan serrurier de Thiérache, Jean-Baptiste commence à travailler à 11 ans. En 1835, il effectue un tour de France des ouvriers-compagnons, ce qui lui donne à la fois l’occasion de se perfectionner dans son métier mais aussi de constater l’ampleur de la misère ouvrière. Il s’installe à Guise en 1846 pour fonder une entreprise d’appareils de chauffage et de cuisine, les fameux poêles Godin, toujours aussi recherchés aujourd’hui. Il fera rapidement fortune. Fortune qu’il va immédiatement employer à la création de son Familistère, néologisme formé d’après le Phalanstère fondé par un utopiste socialiste Charles Fourier. Un phalanstère est un ensemble de logements organisés autour d’une cour ouverte centrale, un lieu de vie communautaire favorable à une vie harmonieuse. Le Familistère comprend la cité d’habitation, les ateliers domestiques et les ateliers industriels.
Après avoir investi à perte dans la fondation d’un phalanstère dans le Texas, Godin décide de mettre à Guise en pratique ses idées afin d’offrir aux familles ouvrières les « équivalents de la richesse ». Il va tout particulièrement réfléchir à l’architecture des lieux afin d’offrir « non pas la richesse, c’est impossible, mais les agréments d’une habitation qui réunisse au profit de la collectivité, ce que la richesse a donné au particulier ». Pour lui « la véritable égalité consiste à donner à chacun une part proportionnée à ses besoin » Godin est convaincu que « la réforme des habitations engendrera le progrès social ». Reprenant les thèses hygiénistes de l’époque, lui qui n’est pourtant pas architecte, il va concevoir le Palais social édifié près de l’usine. En 1880 il créera l’association coopérative du capital et du travail. L’Association organise l’économie sociale coopérative dans le but s’associer les ouvriers aux bénéfices, à la gestion et et aux décisions. Pour ce faire, l’ouvrier doit être âgé d’au moins 25 ans il doit savoir lire et écrire , travailler et habiter au Familistère depuis 5 ans et posséder une part du capital. Il meurt en 1888, deux après après s’être marié avec sa collaboratrice Marie Moret.

Maintenant, laissez-vous guider…

Le Palais Social

Constitué de trois bâtiments de briques rouges, le Palais fait immédiatement penser à Versailles. Espaces amples, lumière naturelle, ventilation naturelle, eau courante… tout est prévu pour le confort et l’hygiène des occupants. A l’intérieur des cours, des balcons qui donnent accès aux appartements et deviennent vite des lieux de rencontre entre les familles, quelle que soit leur position dans l’usine. Ce que recherche Godin c’est une sorte de fraternité entre Familistériens, d’où le nom donné au lieu. Certains ont préféré voir une architecture « carcérale » voulue pour créer une sorte d’autodiscipline ou de surveillance rendant inutile la présence de la police. Je préfère penser qu’ils se trompent . En revanche il est vrai que les ouvriers issus de la ruralité n’ont pas vu d’un bon oeil l’habitation collective, habitués aux maisonnettes qui même misérables ont la vertu de laisser chacun chez soi. Pour les autres, ce fut un réel succès : épicerie, mercerie, quincaillerie, pharmacie, service médical, théâtre, école … le Familistère présente tous les atouts d’une Cité heureuse au coeur de Guise, de quoi susciter les jalousies.

Les différents lieux

Le pavillon central du Palais social : Organisé autour de la grande cour, il est le symbole de l’habitation familistérienne et du génie de Godin. « Une véritable machine à habiter » selon les mots de l’architecte Le Corbusier. Les caves constituent un véritable poumon, car c’est par elle que la ventilation est rendue possible. Les cabinets à balayures sont aménagés sur les paliers et constituent les plus anciens vide-ordures de France. Une trappe ingénieuse confine les odeurs. A tous les niveaux on trouve une fontaine et des cabinets d’aisance. Une pompe actionnée par une machine à vapeur fait monter l’eau potable du sous-sol jusqu’aux combles dans des réservoirs. Au rez-de-chaussée de l’aile gauche se trouvent des salles de bain approvisionnées en eau chaude grâce à la même pompe à chaleur. Quatre escaliers offrent le plus grand confort, pour les enfants ou les adultes et sont réalisés en fonte et ciment pour minimiser le bruit. Les coursives abritées sous la verrière desservent les appartements comme le ferait une rue suspendue. Chaque aile du pavillon est une répétition de cellules de 10x10 m. La cellule d’habitation type comprend un vestibule et deux logements contigus de deux pièces de 20 m2 avec un cabinet de débarras chacun. La cloison peut être percée pour réunir deux logements. La lumière est traversante et l’ouverture des fenêtres opposées provoque un courant d’air qui assure la ventilation de l’appartement.

Les écoles : Parce que le confort n’est rien s’il n’est pas complété par la première des richesses, « l’instruction intellectuelle et morale », Godin apporte un soin particulier à la formation des enfants. La gratuité de l’école est absolue, les absences injustifiées passibles d’amendes. La mixité et la laïcité la norme ! Les méthodes d’enseignements sont d’avant-garde : suppression de tout enseignement abstrait, apprentissage par le fait, l’expérience et le jeu. L’école débute par le « bambinat » de 4 à 6 ans et se poursuit jusqu’à 14 ans. Les peines physiques sont proscrites , « la douceur et la bonté » sont les normes éducatives. Les élèves sont aussi initiés à la culture maraichère et à l’entretien des jardins avec une rétribution de leur travail. Les meilleurs accèdent aux cours supérieur financiers par l’association les autres entrent dans la vie productive. Des cours du soir sont proposés aux adultes volontaires. Une bibliothèque de plus de 6000 volumes est mise à la disposition de tous dans l’aile gauche du Familistère. La femme de Godin Marie Moret, cultivée, grande lectrice est en grande partie responsable de ces installations.

Le théâtre : Avec une capacité d’accueil de 600 places, il est « un lieu de jouissances moralisatrices », à la fois lieu d’apprentissage mais aussi de spectacle. Des conférences y sont données sur l’hygiène par exemple. L’apprentissage de la musique est l’un des fondements de l’éducation sociétaire. Les activités musicales sont associées aux fêtes et au jeu. Les enfants sont réunis avant la classe et rejoignent leur classe en chantant des cantiques à la gloire du travail. Le Familistère possède un orchestre et une harmonie qui se produisent aux beaux jours au théâtre ou dans le kiosque.

Le lavoir : Le lavage du linge étant interdit dans les logements pour raison d’hygiène, la lessive se fait dans des baquets munis de robinet à eau chaude, idem pour le rinçage. L’eau chaude est constamment renouvelée, tandis que des essoreuses mécaniques permettent d’essorer le linge sans trop de douleur. Au dessus du lavoir le séchoir permet d’étendre le linge à l’abri.

La piscine : en 1870, le Familistère est surement le seul lieu mettant à disposition de la population ouvrière une piscine. Le bassin de 50 mètres est couvert et chauffé, son fond mobile est adaptable à la taille des nageurs. L’idée est d’empêcher les enfants de se noyer dans l’Oise à proximité du Familistère. Godin a inventé un système ingénieux qui permettait de récupérer les eaux chaudes de l’usine pour le linge et la piscine. En sortant du travail, il était toujours possible d’y passer pour prendre un bain.

La garde d’enfants, nourricerie et pouponnat : Ils sont prévus dès 1862. La possibilité de faire garder ses enfants est à cette époque un véritable luxe. La salle de repos comptabilise jusqu’à 50 berceaux et les enfants sont accueillis dès 6 heures jusqu’à 19h30. Les matelas des berceaux sont garnis de son qui s’agglomère quand il est humide. Un drap sépare cette matière végétale du corps du bébé. Le son est remplacé régulièrement. Une « promenade » est prévue pour l’apprentissage de la marche.

L’économat : Adepte de l’association Godin considère les intermédiaires comme des parasites. Il s’efforce de s’en passer. De plus, faire ses courses sur place permet un gain de temps à consacrer à des choses plus précieuses. Godin ira jusqu’à créer sa propre monnaie, et des carnets d’achats seront proposés aux ouvriers. Des plats préparés sont mis en vente pour une somme modique afin là encore de libérer du temps.

Le jardin d’agrément : Prévu pour flâner, il est élégamment orné de reproductions de sculptures réputées. Les ouvriers qui le souhaitent peuvent améliorer leur quotidien grâce aux jardins ouvriers.

Une fois la visite réalisée, place aux ateliers !

Si la (re)découverte des lieux nous tenait beaucoup à coeur, notre objectif était aussi de profiter d’un cadre propice à la libération de la parole, aux échanges, aux débats d’idées. Peut-on imaginer même endroit que le Palais Social, son théâtre en l’occurrence, pour débattre sur des questions aussi cruciales que le travail, l’école idéale ou encore l’habitat…
Les élèves se sont répartis entre deux ateliers : le Salon des Utopies et le Porte Voix. Chaque fois, ils ont eu à construire des argumentations à partir d’un thème imposé, ou encore à incarner un personnage afin de prendre position quant à une question en lien avec les lieux et l’idéologie du Familistère. Ces questions cruciales, et ce n’est pas l’actualité brûlante qui le démentira, nous touchent sans qu’il soit nécessaire d’être parvenu à l’âge adulte ou d’être un « politicien ». Les élèves ont brillamment relevé les défis qui leur ont été imposés et ont par leur force de conviction bluffé l’animatrice elle-même. Quelle excellente préparation au Grand Oral !

Il est temps de remercier madame Bissuel, professeure d’histoire-géographie d’avoir organisé cette journée et d’y avoir associé la 1HLP.

Ne boudez pas le Palais Social, il est encore à découvrir pour beaucoup d’entre vous. Pourquoi ne pas profiter du 1er Mai pour le visiter, en effet à cette date on ne peut plus symbolique, le Familistère choisit délibérément de faire la fête. Le programme est à venir, mais vous pouvez d’ores et déjà réserver la date !