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Prix lycéen du livre de Philosophie - les exploits de 2 élèves de Terminale L

, par Philippe HENRY

Deux élèves de Terminale L, Samuel Legrand et Antoine Morsch, ont bûché sur 3 livres de philosophie contemporaine, concourant pour un Prix national : "Désobéir" de Frédéric Gros, "Danser, une philosophie" de Julia Beauquel et "L’expérience du monde" de Kévin Cappelli.

Pendant des semaines, ces deux élèves brillants et volontaires se sont investis, chaque vendredi, durant deux heures, dans le but d’extraire la substantifique moelle de ces trois ouvrages.
Voici le synopsis, en même temps que la critique personnelle, de chacun de ces ouvrages par Antoine Morsch (1-2) et Samuel Legrand (3) :

1. Désobéir , par Frédéric Gros :
"Désobéir seulement ? Non, l’ouvrage est une condamnation à l’obéissance ! Voilà comment Frédéric Gros, professeur à Sciences Po, nous propose d’approcher le thème de la désobéissance et de son contraire. En effet, le style soigné, accrocheur et vif, accompagne avec bonheur la thèse selon laquelle l’obéissance à une idée, à un principe, à une loi ou même à une communauté peut s’avérer dramatique. Il y aurait donc un « devoir de désobéissance »... Mais attention, pour Frédéric Gros, il ne s’agit pas de désobéir pour désobéir, loin de là, il faut désobéir quand il y a un manquement à la morale, à ce qui est juste et « bien ». « Mais ne faut-il pas obéir ? » Certainement, mais l’exemple du haut dignitaire nazi Eichmann, évoqué par Hannah Arendt, montre bien que l’obéissance n’est pas forcément une bonne chose quand ce à quoi l’on décide d’obéir est une idéologie criminelle, voire quelque chose de mal d’une façon plus universelle. « Oui...mais il serait mort s’il avait choisi de ne pas se plier à cette idéologie... », peut-être, mais n’avons nous pas tout le temps le choix ? N’avons nous pas simplement exagéré la désobéissance au point de la craindre ? Quand bien même elle peut servir le bien ! Ce que critique aussi l’auteur n’est pas simplement cette obéissance terrifiante, mais aussi la formule de la « sur-obéissance », celle qui afflige une personne par sa capacité à dépasser sa simple obéissance et à prolonger une idée à laquelle il s’est plié. Le haut dignitaire nazi accepte et obéit aux idées nazies, mais il les amplifie et les prolonge ce qui rend la chose encore plus inacceptable – et injustifiable moralement.
Mais alors, pourquoi obéir autant ? Pourquoi accroître, de nous même, notre obéissance, au point d’arriver à une « servitude volontaire » ? Pour la peur de la liberté. La peur de la sanction ou de la solitude. Des raisons érigées dans ce livre sous la forme des « Murs de la peur ». L’Homme, alors qu’il se sait qu’entièrement libre (d’un point de vue moral, métaphysique puis physique), il est en même temps toujours responsable : ses choix sont assumés. Or la responsabilité ne plaît pas à tous les Hommes et ils désirent, veulent et se passionnent pour l’obéissance. En fait, ce qui compte ce n’est de désobéir, mais de s’abstenir de « surobéir ».
Ce livre complet, qui ne manque pas de légères touches d’humour, est suffisamment clair pour être lu par un public large, de l’élève de Terminale encore un peu profane... à l’agrégé de Philosophie, et / ou de Sciences politiques (oui, car l’œuvre peut s’avérer être de situation…à lire chaque Samedi..). D’aucun pourra peut-être reprocher à Frédéric Gros sa manière de s’appuyer sur un nombre apparemment excessif de références pour étayer ses propos, puisqu’il « liste » les auteurs, livres et citations à la pelle. Ce qu’on ne peut évidemment pas tolérer dans une dissertation au Lycée… (mais quand même ce serait déjà pas si mal qu’il y en ait au moins une de temps en temps – ce qui serait l’excès inverse NDLR)."
Antoine Morsch (Tale L)

2. Danser, une philosophie , par Julia Beauquel
"« Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse » disait Nietzsche ! Il est difficile d’associer une autre citation que celle-ci à la danse. Le livre de Julia Beauquel est le fruit d’une consultation psychanalytique ou même médicale : Quels sont vos a priori de la danse ? D’où viennent-ils ? Comment vais-je les soigner ? Laissez-moi vous conseiller dans ce régime de vie. En effet, il est ici question d’aborder le concept de la danse, ce qui la rend si esthétique. La danse est une série de mouvements dans lesquels chacun devrait se plaire et auxquels s’adonner, elle permet la libération de soi pour quelque chose de plus grand et de plus profond, de plus « intime ». L’exercice de la danse nous permet, comme le pense Julia Beauquel, elle-même danseuse, de mieux nous connaître. Mais elle sait aussi, et le montre, que le danseur ou la danseuse ne sont pas exempté-e-s de la souffrance, bien au contraire ! Le danseur est un être qui souffre, et quoi de mieux que la citation de Nietzsche pour explorer ce coté « obscur » du danseur. La portée de l’œuvre n’est pas simple à saisir et les idées appartiennent pour beaucoup à une réalité abstraite qui demande un certain recul – d’autant que les réflexions et les références semblent foisonnantes et parfois même hétéroclites. Et ce, surtout lorsque l’on est un profane de la danse, un néophyte (comme nous).
Quant aux passages au style un peu ésotérique, du fait de notre méconnaissance du domaine de la danse, ceux-ci donnent à son livre toute sa spécificité : la lecture est intime, elle permet de comprendre comment « je » peux me mettre à la place du danseur qui cherche l’infinité dans un bond. Un bond longtemps préparé dont il peut tirer une satisfaction proche de « l’orgasme artistique ». Le danseur peut autant offrir sa grâce par humilité que de l’offrir par orgueil (par autosatisfaction, par narcissisme ou même masochisme, puisque tout exercice de chorégraphie un peu poussé fait souffrir minimalement le corps – si ce n’est l’âme de surcroît). Même si la pensée de Julia Beauquel n’est pas saisie immédiatement, d’emblée, il n’empêche que l’absence de connaissances sur la danse, de la part du lecteur, est renforcée par une structure initiatique ; les chapitres du début aident le lecteur à comprendre qu’il n’existe pas une danse mais des danses.
Il faut quand même avouer que certaines parties du livre racontent beaucoup et manquent de fils tissant des liens avec la théorie initialement donnée. Je pense à l’épisode sur l’estime de soi et la référence à Black Swan où j’ai pu « revoir » le film dans une grande partie… L’ouvrage mérite quand même son lot de distinctions pour son approche sérieuse et développée de ce thème qui peut sembler au premier abord « hors du commun »."
Antoine Morsch (Tale L)

3. L’expérience du monde , par Kévin Cappelli
"Voyage, voyage… Même si ce tube de Desireless peut-être anecdotique, le contenu de l’essai de Kevin Cappelli soulève, lui, de nombreux questionnements. Et pour cause, notre technologie étant en pleine évolution, elle a pour but premier d’accélérer nos tâches quotidiennes, mais aussi nos déplacements.
Il est donc normalement plus facile pour nous de découvrir le monde qui nous entoure afin de nous forger un esprit rempli d’expériences venant de cultures différentes. Il nous est également possible de nous enrichir culturellement via les médias, outils importants d’information. Cependant, c’est là tout le paradoxe dont traite Kevin Cappelli dans son livre : notre humanité évolue, mais notre façon d’apprécier les voyages se dégrade. La plupart de nos volontés de découvrir le monde, sont en réalité motivées par le tourisme. À première vue, voyage et tourisme sont deux principes similaires, or ce dernier est contraire à toute volonté d’explorer le monde : lorsque nous partons en vacances par exemple, nous avons tendance à tout planifier, chaque minute de notre périple doit être comblée par une activité quelconque. Nous sommes très enclins à vouloir à portée de main, tout le confort que nous avons déjà au quotidien. Pourtant, la partie intéressante d’un voyage passe par la découverte, l’aventure et c’est cet aspect que nous ne devons pas mettre de côté.
Même si nous passons des vacances à 2000 kilomètres de notre logement, nous sommes prêts à tout faire pour avoir accès à nos petits conforts quotidiens, comme le wifi, la télévision, ou encore notre pot de Nutella fraichement acheté [avec moult huile de palme résultant de l’astucieuse déforestation des plus belles forêts primaires du monde] pour le plus grand plaisir de nos estomacs. Que nous propose alors Cappelli, pour vivre un vrai voyage ? Il met en avant l’expérience du monde, c’est-à-dire notre capacité à nous adapter dans un monde que l’on découvre afin de l’apprécier. L’apprentissage de la langue, des coutumes sont des sources d’enrichissement culturel, et c’est ce vers quoi nous devons tendre pour évoluer.
Finalement, nous n’avons conscience du monde qui nous entoure que grâce aux médias qui nous informent en permanence, et aux transports qui nous empêchent de changer de point de vue. Nous nous satisfaisons de cette vision du monde extérieure alors que cette découverte par les médias et les voyages devrait nous inciter à nous rapprocher physiquement des mondes inconnus."
Samuel Legrand (Tale L)

Notons que l’ensemble des élèves de France participant au Prix ont voté, et c’est le livre de Frédéric Gros qui a gagné ; en 2ème position vient le livre de Kevin Cappelli ; et donc la 3ème place revient à Julia Beauquel.

Le programme de l’année prochaine est déjà prêt (cf. site du Prix), enfin et non le moins, bonne chance à toutes les candidates et tous les candidats pour l’épreuve du Lundi 17 Juin !

Sites web à consulter : www.prixphilo.org
Podcast RFI autour de Désobéir
Podcast France Culture autour de Danser, une philosophie
Présentation et Bibliographie de L’expérience du monde