Skip to content

RENCONTRE ENTRE MAXIME ROVERE ET LES ELEVES...

, par ALLIOUI YASMINE

C’est grâce à la bonne volonté du philosophe Maxime Rovere mais aussi à la faveur de la technologie Zoom que nous avons pu mener à terme notre projet Cité Philo. Si les conférences ont été annulées, rien ne pouvait empêcher le dialogue entre le philosophe, auteur de l’essai L’Ecole de la Vie et les élèves de terminale HLP désireux de discuter avec lui à propos de l’école. Leur Spé HLP leur proposant de réfléchir à l’éducation et l’enseignement, la rencontre est prometteuse. Après quelques réglages, nous pouvions débuter.
Les questions et les réponses sont synthétisées afin de rendre plus fluide la lecture.
O C : « Qu’est-ce que l’éducation ? »
M R : « Partons de l’étymologie, éduquer vient du latin educere qui signifie élever, dresser,
tirer vers le haut, ou plus précisément tirer vers le monde des adultes.
Rousseau s’est emparé de ce sens et l’a également attribué aux plantes, constatant avec justesse que si l’on tire sur une plante pour la faire pousser, le risque est de la déraciner. Ce risque est le même pour un enfant qu’à force de vouloir élever, on gâcherait.
Le philosophe des Lumières affirmait que les hommes étaient conçus pour apprendre, mais pas à n’importe quel prix et pas à tout prix. Ainsi, les erreurs de parcours, les lenteurs dans les apprentissages étant légitimes, l’éducation se doit de rééquilibrer l’élève lors d’un déséquilibre. De plus, l’élève sait ce qui lui est nécessaire pour apprendre et les professeurs ont le rôle de facilitateurs, autant dire qu’ils ne sont là que pour aider . Ils balisent notamment le terrain en proposant des « situations-problèmes » afin d’aider les élèves à gagner du temps. On peut apprendre à grandir dans la rue également, mais cette école-là est plus cruelle et génère beaucoup plus de souffrances. Bien sûr, on apprend des choses dans la rue mais beaucoup plus lentement et sans un cadre sécurisé. »
Ainsi, même si Maxime Rovere reconnaît avoir plus détesté l’école que le contraire, il sait que l’école propose un cadre d’apprentissage sécurisé et efficace pour le plus grand nombre. Il nous dévoile alors rapidement son parcours : enfant précoce il s’ennuie durant toute sa scolarité. Il avoue avoir noirci ses cahiers de terminale de lignes de bla bla bla bla (à ne pas reproduire bien sûr, chers élèves) . Mais très vite ce sont les classes prépa, les concours et le métier de ... professeur. Ah tiens ?! Professeur en lycée puis en classe prépa, puis à l’ENS... quel parcours très balisé pour quelqu’un qui n’aime pas l’école.
O C : « Que pensez-vous de cette citation d’ Einstein « nous passons plus de 15 ans à l’école, et pas une fois on ne nous apprend pas la confiance en soi, la passion et l’amour qui sont des fondements de la vie ».
MR :« Tou d’abord,ilfauttoujoursseméfierdescitationsets’assurerqu’ellessontbien authentiques. Ensuite, il vaut toujours mieux se détacher des citations de ceux qui font autorité et se lancer tout seul.

Mais en ce qui concerne cette citation, il est vrai que l’enseignement en Europe depuis le 19 ème siècle est fondé sur les savoirs en priorité, et même sur une définition intellectualiste des savoirs. Ainsi, contrairement à d’autres cultures, comme au Brésil, où j’enseigne à la faculté, l’enseignement en France n’est pas fondé sur des interactions. Le professeur sait et transmet, ou du moins c’est ce qu’il croit faire.
Résultats de ce manque d’interaction, les élèves en France n’osent pas prendre la parole, et cela est le fruit gâté d’un système basé sur la sélection. Elle s’opère déjà au sein d’une classe où certains remplissent l’espace de leurs mots et où d’autres se taisent de peur de dire des bêtises ou de peur de savoir toujours répondre. Au Brésil, les bêtises sont encouragées car elles créent des interactions et de l’intelligence partagée. Aujourd’hui toutefois, Zoom a permis de créer une interaction. »

J C : « Qu’est-ce que vous n’avez pas aimé de votre expérience d’élève ? »
M R : « L’école depuis le 19 ème siècle est devenue une éducation de masse. On ne personnalise pas l’enseignement, on distribue les mêmes savoirs à des élèves qui ne peuvent pas le recevoir également. De plus, on ne s’intéresse pas aux goûts des uns et des autres, cela est réservé à la vie à l’extérieur de l’école, mais il y a d’énormes différences entre les milieux, entre les familles ... L’école ne garantit donc pas l’égalité entre chacun des élèves.
L’école a tendance aussi à parquer les élèves, les corps sont contrôlés et des violences sont faites aux corps : rester assis, immobiles, silencieux, sans pouvoir seulement aller aux toilettes... Là encore au Brésil ou aux USA, cela est inconcevable.
Cela génère au final plus de passivité qu’autre chose. L’élève est souvent réduit au rôle de scribe : il prend des notes de ce qu’on lui dicte. Et comble de tout, il y a le système des notes qui humilie et peut être vécu de façon très angoissante.
Ce qui me semble plus adapté est un système scolaire qui conçoit un élève qui grandisse comme un arbre vers des savoirs. Des branches seront plus solides que d’autres, le tronc plus ou moins rigide... à cela devraient s’ajouter des outils qui permettent à l’élève de créer un apprentissage personnalisé fidèle à ses désirs. »

A DD : « Les écoles sont-elles au final des usines où l’on accumule des savoirs et des connaissances ? »
Effectivement, il y a une dichotomie entre l’institution conservatrice et dont le but est de formater des cerveaux et les professeurs qui sont des émancipateurs et qui dispersent de-ci de- là des graines de liberté. Un enseignement qui réussit est un enseignement qui réussit la bascule vers l’émancipation et l’autonomie. La tâche revient en priorité au cours de philosophie, mais il n’en a pas l’exclusivité.
Ainsi, il y a une priorité : lutter contre les ECOLES-PRISONS-USINES, ces lieux où l’on garde les élèves parce qu’ils sont mieux que dans la rue, et où les réduit à leur rôle d’esclaves économiques qui ont renoncé à leur choix de vie avant même d’avoir tenté quoique ce soit.

Mais à l’intérieur de ces « écoles-prisons-usines » on trouve le savoir en puissance ; celui qui conduit à la liberté. Certains élèves savent emprunter ce chemin... »

A DD : « Les notes peuvent-elles encourager la confiance en soi ? »
M R « Les notes peuvent être dangereuses car ce sont des différentiels quantitatifs qui ne tiennent pas compte des individus dans leur singularité. Alors que les notes pourraient déterminer une marge de progression, comme une boussole indique un chemin à suivre pour atteindre un but, elles sont devenues un instrument de tri sélectif.
En effet, le concept des notes entraîne une certaine ambivalence, car les notes peuvent flatter l’ego, voire le gonfler et transformer un très bon élève en un orgueilleux qui se gâche, comme une Ferrari qui n’aurait pas de frein et qui irait droit dans le mur. Mais les notes peuvent aussi abaisser la confiance en soi, car selon ce système de tri , la question est seulement de savoir qui entre dans ce cadre-là et dans celui-ci. Cela laisse sur le carreau beaucoup trop de monde. A Rio, tous les étudiants ont 10/10 car on présuppose qu’ils sont tous à leur maximum. »
Après avoir entendu retentir la sonnerie, il est temps de dire au revoir à Maxime Rovere. Il tient à conclure :
« L’apprentissage se conquiert et l’élève peut être, doit être acteur de ses apprentissages. Il s’encourage alors lui-même et sait ce qui est important pour lui. Le professeur est ainsi un relai dans cette conquête ».
Les élèves regrettent déjà que la discussion doive s’interrompre et espèrent pouvoir dialoguer avec Maxime Rovere plus tard dans l’année. Gageons qu’ils vont nous demander des comptes après ce qu’ils viennent d’entendre...